Actualité, Politique

LA GUINEE SERAIT-ELLE UN PAYS DE PARADOXES ?

 

« Le chemin des paradoxes est le chemin du vrai. Pour éprouver la réalité, il faut la voir sur la corde raide », disait Oscar Wilde. « Ceux qui se persuadent souvent d’aimer les gens plus puissants qu’eux, sachez que ce n’est que l’intérêt qui produit cette amitié. Ils ne se donnent pas à eux pour le bien qu’ils veulent leur faire, mais plutôt celui qu’ils en veulent recevoir », nous enseigne le Duc de la Rochefoucauld. Tous les jours que Dieu fait, le guinéen se voit confronté à de tristes réalités qui souvent le plongent dans des situations déconcertantes. A chaque période, il se complait dans une critique du présent au profit d’un lendemain incertain qui le pousse par la suite à regretter le passé qu’il avait toujours critiqué.

Difficile perception de la réalité guinéenne qui souvent est faite d’hypocrisie collective et de manque de jugement responsable et raisonnable. C’est justement cet état de fait qui plonge le pays dans le regret des appréciations émotives et sensationnelles. Rien que pour un discours truffé de promesses irréalisables, on a balayé d’un revers de la main, les convictions et les réussites d’une période. La réussite d’un pays réside avant tout dans la constance et la fidélité à ses idéaux de paix et de progrès. Mais lorsqu’un pays est caractérisé par un éternel recommencement, les assises génératrices de son développement sont confrontées au danger de l’instabilité.

Que de temps perdu dans des luttes absurdes préjudiciables à l’intérêt national et à la cohésion sociale, c’est pourquoi le peuple désabusé pense toujours que c’était mieux avant. Premier au peloton de départ, la Guinée se retrouve aujourd’hui à la queue des nations. Quand les autres se battent pour développer leur pays, en Guinée on sème la discorde à travers des principes démocratiques mal compris et mal assurés. Celui qui n’est jamais satisfait de ce qu’il a, se retrouvera toujours en face d’un rêve illusionniste. La première loi du progrès est la conservation de ce qui est acquis. C’est sur les bases d’un présent que l’on peut fonder un avenir rassurant. Tout ne peut être négatif, toute activité humaine se caractérise par des succès et des insuccès, il faut donc savoir faire le discernement pour réutiliser les positifs et améliorer les insuffisances.

Depuis 1958 jusqu’à nos jours nos jugements sur les différents régimes qui se sont succédés sont les mêmes, c’est seulement en cela que l’on peut parler de constance. Aucun régime n’a bénéficié en son temps les lauriers qu’il mérite, on le fait toujours à titre posthume. Dans une telle logique de critiques absurdes, de rejet de toutes les actions à travers un subjectivisme aveugle, il devient difficile de consolider l’unité nationale. C’est dans le rationalisme et l’objectivisme qu’un Etat se consolide avec des acteurs qui prennent de la hauteur par rapport aux considérations de bas quartiers. En 1984 on n’a pas hésité à balayer d’un revers de la main les acquis de la première république, le CNDD en fera autant avec les acquis du Général Lansana Conté, le Pr. Alpha Condé en a procédé avec modération et le CNRD a mis de côté les acquis de la gouvernance du RPG arc en ciel.

Ces multiples changements n’ont rien apporté en matière d’amélioration et de résolution des problèmes auxquels sont confrontées les populations guinéennes, au contraire ils ont exacerbé l’incompréhension dans la cité, la déliquescence du tissu social et la culture de la méfiance. Si sous d’autres cieux l’économique est la déterminante en dernière instance, tel n’est pas le cas en Afrique surtout en Guinée. Le social est le facteur déterminant de tout développement d’une nation. L’homme est le socle du progrès, c’est lui la force motrice de la dynamique sociale qui entraine tous les autres aspects de la société. Quand l’écrivain guinéen écrivait dans son œuvre ‘’Crapaud brousse’’ Thierno Monènembo mettait en exergue cette évidence : « Elle se rendait bien compte que ses mots ricochaient et perdaient cible. A preuve ces visages qui restaient de marbre, et l’échec de son lyrisme africain, qui pourtant allait crescendo. Elle en ressentait une sourde révolte, et même un certain mépris pour ces fêtards insouciants qui elle avait déjà eu le temps de s’en apercevoir- ne souciaient ni de nouvel Homme ni de l’Afrique, mais qui, au contraire, enfonçaient leurs tentacules dans le plein quotidien avec ce que cela a de banal et d’euphorique. Quel non –sens, se disait-elle, pour eux qui sont nés dans cet océan de belle misère, dans ces merveilleuses contrées d’enfants meurtris, mais encore vierges et promis à la Grande Œuvre du futur. Les mains ingénieuses manquaient pour cette œuvre ; elle croyait les trouver chez eux. Maintenant, elle comprenait : ce n’était que des espoirs ratés ! Eux qui auraient dû être la solution, ils ne l’étaient en rien. C’était plutôt eux, le problème à la lumière de la vérité. Bercés par le miroitement des privilèges, ils se laissaient envelopper par la brume de la corruption ; malades de cécité, ils ne pouvaient plus se regarder. Ni voir la douleur de l’Afrique. Ils en devinaient seulement quelques contours ne faisant que maugréer contre un système auquel ils n’avaient pas conscience d’appartenir. Pensaient-ils s’opposer à ce système ? Et la meilleure manière était-elle d’en devenir la composante de haut niveau ? A quoi servaient alors leurs diatribes ? ».

Le mal guinéen réside dans la conduite des fils du pays qui sont souvent obnubilés par un égocentrisme truffé de népotisme et de clientélisme. On se focalise trop sur le passé pas pour en corriger les erreurs ou les insuffisances mais, pour s’acharner contre les acteurs d’un système. Le passé trop revisité conduit souvent à des erreurs d’appréciation comme la chasse aux sorcières et l’humiliation des cadres qui ont incarné une part importante de la souveraineté nationale. Pour l’avenir du pays, il y avait mieux à faire que de s’obstiner dans la recherche de preuves difficiles à trouver. Les vieilles habitudes ont la vie dure, il n’est pas évident que le comportement des présents cadres soit différent de celui des anciens. Plus les jours et les mois s’écoulent on découvre avec stupéfaction une similitude entre anciens et nouveaux cadres.

Si les nouvelles autorités guinéennes avaient eu la force du pardon pour diriger le pays, elles auraient pu mettre ensemble les guinéens autour d’un programme de société. Malheureusement elles n’ont pas compris que celui qui pardonne est plus grand que celui qui est pardonné. En réalité le peuple n’approuve pas cet acharnement contre les anciens dignitaires, l’exclusion des partis politique dans le cadre de dialogue, la restriction des libertés et le musèlement de la presse qui sont en réalité des pratiques liberticides. Aujourd’hui il faut avoir le courage de reconnaitre que tous les domaines de la vie nationale sont impactés négativement par la conduite de la transition. Le tissu social est fortement entamé par des poursuites judiciaires qui ont du mal à être justifiées, l’exacerbation de la pauvreté devenue insupportable de nos jours. La société est comme un navire ; tout le monde doit contribuer à la direction du gouvernail.

Pour donner une bonne trajectoire et une réussite certaine à cette transition, le CNRD doit faire preuve de grandeur en se mettant au-dessus de tout ce qui peut l’induire en erreur. L’appartenance à la nation doit être un facteur d’unification et non de division. Le chantre malien Salif Keita dit : « Quand on a le pouvoir, il n’est pas bon de faire tout ce que l’on peut faire ». « Un dictateur n’est qu’une fiction. Son pouvoir se dissémine en réalité entre de nombreux sous-dictateurs anonymes et irresponsables dont la tyrannie et la corruption deviennent bientôt insupportables ». Quand on ôte à ce qu’on appelle force le désir de conserver et la crainte de perdre, il ne lui resterait pas grand-chose. Moins un pouvoir est raisonnable plus on cherche à l’établir par la force. Mais nul gouvernement au monde ne peut être longtemps solide sans une redoutable opposition. Il doit pouvoir tirer profit pour corriger ses imperfections et éviter les grossières erreurs.

Le salut de la Guinée résidera dans la capacité des autorités à prendre à bras le corps le social et éviter les solutions de circonstances de l’immédiateté avec les espèces sonnantes et trébuchantes. Il faut savoir pardonner pour recoudre le tissu social et restaurer l’unité nationale. Cultiver en chaque guinéen le sentiment de patriotisme à travers une gestion moralement saine des deniers publics. Accepter tous les fils sans aucune considération politique pour la construction d’une Guinée forte et unie. La situation du football est évocatrice du mal profond qui ruine la société guinéenne. Le refus du pardon, la haine et le mépris de l’autre sont les dangers qui mettent en mal aujourd’hui la paix et la quiétude sociale.

Toute raison gardée, il faut savoir mettre la nation au-dessus des intérêts égoïstes

 

Famany Condé

 

 

 

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