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Le droit des journalistes à suivre des enquêtes de police examiné au Conseil constitutionnel

Paris – Peut-on interdire à un journaliste de suivre une enquête de police sans attenter au droit à l’information ? Le Conseil constitutionnel a examiné mardi une question de l’Association de la presse judiciaire (APJ) qui dénonce de nouvelles dispositions « contraires à la liberté d’expression ».

Le 10 janvier 2017, la Cour de cassation avait annulé la validité d’une perquisition au motif que la présence d’une équipe de télévision, pourtant accréditée, constituait une violation du secret de l’enquête ou de l’instruction.

Fin avril, la chancellerie a en conséquence diffusé une circulaire ordonnant qu’aucune autorisation ne soit dorénavant donnée à des journalistes pour suivre des actes d’enquête ou d’instruction.

Saisis d’une question prioritaire de constitutionnalité (QPC) de l’APJ, les « Sages » doivent dire si les articles 11 et 56 du code de procédure pénale, qui encadrent le secret de l’instruction et les perquisitions et ont été invoqués pour restreindre le droit d’enquête des journalistes, sont conformes ou non à la Constitution. La décision sera rendue le 2 mars.

A l’audience, le représentant du Premier ministre, Philippe Blanc, a estimé que la liberté d’expression et de communication ne saurait primer sur « le secret de l’instruction et de l’enquête » garants « d’une justice sereine« . Il a demandé au Conseil de déclarer les dispositions contestées conformes à la Constitution en invoquant également « le respect de la présomption d’innocence et de la protection de la vie privée« .

L’avocat de l’APJ, Me Patrice Spinosi, a lui insisté sur le manque d’encadrement par la loi du droit des journalistes à enquêter, pourtant reconnu par la Convention européenne des droits de l’Homme, et « l’absence de proportionnalité » de l’interdiction qui leur est désormais faite d’accompagner des policiers dans leurs investigations.

Jugeant les textes incriminés « maximalistes« , il a demandé aux Sages d’opter pour « une solution de compromis » permettant à la presse, sous condition d’acceptation des personnes filmées, de pouvoir jouer son rôle d’information du public.

– ‘Et si c’est Raymond Depardon?’ –

Jusqu’en avril, il était encore possible pour des journalistes de suivre des policiers dans leurs actes d’enquêtes ou d’instruction après avoir obtenu une autorisation du parquet et en floutant les visages des personnes concernées par la procédure.

Mais dans sa circulaire, le ministère a changé les règles du jeu.

Selon lui, l’arrêt de la cour de cassation « justifie qu’à l’avenir, aucune personne autre que celles concourant à la procédure, et en particulier aucun journaliste, ne puisse assister à l’accomplissement d’une perquisition et a fortiori ne puisse capter des images de son déroulement, nonobstant l’accord de la personne concernée et l’autorisation délivrée par une autorité publique« .

Le texte invite « les magistrats sollicités aux fins d’autorisation de tournage de reportage sur d’autres actes d’enquête (interrogatoire de garde à vue, confrontation, séance d’identification, reconstitution dans un lieu privé, interpellation…) à se montrer prudents, la Cour de cassation pouvant « être amenée à compléter sa jurisprudence en étendant le principe de la nullité (…) à d’autres actes d’investigation ».

Résultat, depuis cette date, aucune autorisation de reportage de ce type n’a été accordée.

« Si c’est pour alimenter des programmes de télévision voyeuristes et sensationnalistes« , c’est pas la peine, a fait valoir à l’audience Me Laurent Pasquet Marinacce, intervenant à l’audience pour un client dans un dossier similaire. L’avocat a jugé « incongru » de se prévaloir de « la liberté d’informer » alors que la défense, elle, n’est pas autorisée à assister son client lors d’une perquisition.

« Et si Raymond Depardon souhaitait faire un film sur les mesures d’instruction et d’investigation ? Pensez-vous qu’il pourrait y avoir une exception à cette interdiction ? » demande malicieusement Nicole Maestracci, membre du Conseil constitutionnel.

A l’évocation du documentariste multiprimé, Me Pasquet Marinacce se montre conciliant: « il me semble que le vrai sujet est la question de savoir quelle forme doit prendre une autorisation éventuelle« .

Mais le représentant du Premier ministre lui reste inflexible et prône POUR « aucune exception« , quel que soit le talent du demandeur.

lexpress

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