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Yves Bigot: « TV5 Monde est la première chaîne francophone en Afrique »

Son directeur général, Yves Bigot, et sa directrice Afrique, Denise Epoté, livrent leur vision du paysage audiovisuel en Afrique francophone, un marché de plus en plus concurrentiel.

Paris Match. En 2018, vous mettez l’accent sur l’Afrique, est-ce que ce n’a pas toujours été le cas ? 
Yves Bigot. C’est la première fois que dans notre plan triennal (2017-2020), une zone géographique est spécifiquement désignée comme priorité. Cela a des conséquences en termes de répartition budgétaire et de projets. Nous venons de lancer par exemple une application mobile TV5Monde Afrique pour offrir un meilleur accès à nos chaines, comme disent les Canadiens un « découvrabilité ». Dans le monde des services publics, le plus important est que les programmes soient vus par un maximum de gens ! En Afrique, TV5 Monde est la première chaine. C’est la chaine la plus regardée en république démocratique du Congo et au Mali. Avec l’application mobile TV5Monde Afrique qui a été téléchargée plus de 100.000 fois depuis son lancement en septembre, nous comptons prolonger ce succès sur les autres médias.

Denis Epoté. Notre défi est d’être présents sur toute la TNT en Afrique. On a commencé en 2009 lorsqu’un opérateur chinois a lancé le premier réseau terrestre en Guinée, en république démocratique du Congo et au Rwanda. Toute l’Afrique devrait être équipée d’ici 2020, c’est la date butoir imposée par l’Union internationale des télécommunications (UIT) pour migrer de l’analogique vers le numérique.

Vous visez un public particulier ?
Y.B. Notre chaine Enfant a été créée pour le marché américain. On a tenu à ce qu’elle soit diffusée sur le continent africain pour soutenir le développement de la langue française. Tout le monde serine des chiffres, 80% de la francophonie serait en Afrique, cela ne va pas se faire tout seul ! En plus des efforts des enseignants et des universités, la télévision est un moyen d’apprentissage facile, direct, automatique. En diffusant des dessins animés, nous donnons aux petits Camerounais anglophones et aux Ghanéens l’envie d’apprendre le français. Pour ces derniers, c’est une langue d’autant plus utile qu’ils sont entourés de pays francophones et que leur président a la volonté de relancer l’apprentissage du français. Nous sommes en phase avec la politique du président Macron qui perçoit le français dans le cadre du multilinguisme ce que nous avons toujours affirmé. C’est pour cette raison que nos programmes sont sous-titrés en français et en anglais dans toute l’Afrique. Le Rwanda a quatre langues nationales et tout le monde parle au moins 2 ou 3 langues en Afrique.
D.E. Cette année, nous avons rallongé le journal Afrique, qui est passé à 26 minutes. On continue de diffuser des séries, la plus populaire est brouteur.com et porte sur la cybercriminalité en Afrique. Nous diffusons aussi des séries tchadiennes, burkinabés, congolaises. Notre magazine musical présenté par le plus grand arrangeur du continent Boncana Maïga est aussi très suivi.

Des nouveautés pour 2018 ?
Y.B. Après le succès de « ça roule » présentée par Juliette Ba, nous allons lancer des magazines sur la santé, l’éducation, la cuisine et la beauté. Lorsque Laurent Fabius était ministre des Affaires étrangères et du tourisme, il nous avait demandé de créer une chaine thématique sur l’art de vivre à la française pour l’Asie et le monde arabe. On a été surpris de voir que les pays africains étaient les premiers à nous la réclamer.
D.E. Cela montre l’émergence d’une classe moyenne consommatrice en Afrique.

Le traitement de l’information sur TV5 Monde est assez équilibré, vous invitez des opposants, couvrez les manifestations au Niger, au Togo, comment réussissez-vous à vous affranchir des puissants réseaux pouvoir ?
Y.B. On est financé par cinq états (La France, la Belgique, la Suisse, le Canada et l’Allemagne avec ARTE, ndlr), ce qui nous donne une certaine indépendance. Cela nous permet de donner la parole à tout le monde. Pourvu qu’ils restent dans le cadre légal et déontologique, les gens expriment leurs opinions et peuvent par exemple critiquer l’intervention française au Mali et en République centrafricaine. Cela ne veut pas dire qu’on cautionne tout, mais la liberté de ton est là.

C’était très important pour nous de retourner au Sénégal, où la chaine Afrique a été lancée le 5 décembre 1992

D.E. Vous avez vu le dernier coup de gueule d’‪Alpha Blondy sur notre plateau! Nous recevons des ministres gabonais, mais aussi l’opposant Jean Ping. Le président Macky Sall a souvent accordé des interviews à TV5MONDE, ce qui ne nous a pas empêché de donner la parole à Khalifa Sall le maire de Dakar aujourd’hui en prison.

…Ce qui nous ne vous a pas empêché de fêter les 25 ans de TV5Monde Afrique au Sénégal !
D.E. C’était très important pour nous de retourner au Sénégal, où la chaine Afrique a été lancée le 5 décembre 1992 à l’initiative du président Abou Diouf. Les Sénégalais ont été très sensibles à ce geste. On était aussi présent cette année au DISCOP de Johannesburg (le plus grand marché de vente de contenu audiovisuel africain), au Cameroun pour les trophées du cinéma francophone et à au Rwanda pour lancer notre application mobile.
Y.B. Vu les relations compliquées entre France et Rwanda, ce déplacement à Kigali est un geste important qui montre le retour du français dans un pays qui a basculé vers l’anglophonie.

Comment avez-vous vu évoluer le paysage audiovisuel depuis 25 ans en Afrique ?
D.E. Avant la libéralisation des ondes, il n’y avait qu’une chaine publique. En RDC, c’était la RTNC, où à l’ouverture une image de Mobutu descendait du ciel. Aujourd’hui, il y a une trentaine de chaines, dont certaines attaquent le président Joseph Kabila. Au Cameroun, une vingtaine, une dizaine au Mali. Cette multiplicité créé une ouverture et oblige les chaines publiques à s’adapter.
Y.B. Le public est aussi très branché sur les réseaux sociaux. L’exigence de qualité et de liberté de ton est d’autant plus forte. L’offre n’est pas encore tout à fait la même en Afrique qu’en Europe, mais l’exigence oui !

Le chanteur, roi du Mbalax, grande voix du Sénégal, a donné un concert pour les 25 ans de TV5Monde Afrique, une chaine qu’il a vu naitre au Sénégal.

Quels souvenirs évoquent cette chaine pour vous ?
J’étais un des premiers à en composer l’habillage musical, j’ai fait beaucoup de tournées avec TV5 Monde dans les Instituts français, j’y ai beaucoup d’amis. C’est une chaine qui touche une grande audience et je suis vraiment content d’avoir vécu assez longtemps pour en fêter les 25 ans !

Comment voyez-vous l’évolution de la scène musicale en Afrique ?
Tout a beaucoup évolué. Avant pour enregistrer une maquette, il fallait trouver un studio c’était très compliqué ! Aujourd’hui avec un Smartphone, tout le monde peut enregistrer ses chansons et les passer sur Youtube ! Parfois je regarde et je clique, mais je ne suis pas du tout un accroc.

Que pensez-vous de la nouvelle scène sénégalaise ?
La relève est là ! Je prie pour qu’ils aient de belles carrières comme nous, et pour qu’ils passent des messages et qu’ils nourrissent des rêves. Les miens n’ont pas changé : ce sont les Etats-Unis d’Afrique, voir s’abattre ces frontières qui nous séparent.

Source: Paris Match

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