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[Interview exclusive] Les révélations de Makanera Kaké…

Dans notre rubrique intitulée « Entretien avec Ib Koné », nous avons consacré ce premier numéro à Alhoussein Makanéra Kaké, ancien ministre, aujourd’hui, Porte-parole de  l’opposition guinéenne, membre de l’UFDG de Cellou Dalein Diallo.

En France, nous l’avons rencontré récemment au Méridien Hôtel sis à la Porte Maillot, en plein cœur de Paris. Voici à cet effet, cet entretien à bâtons rompus. Lisez !

 

Bonjour Monsieur le ministre. Etes-vous en forme ?

Oui ! Je me porte super bien.

 

Après les élections communales, quelle est la situation qui prévaut ? Sachant que jusqu’à présent, les résultats définitifs n’ont toujours pas été publiés officiellement. Toute chose qui crée des embrouilles au sein de la classe politique du pays. Cela a amené le chef de l’Etat à mettre en place, un comité de suivi mais qui trébuche encore les pas. Quel est votre point de vue là-dessus ?

Je voudrais d’abord vous dire que c’est très regrettable qu’on organise des élections depuis le 4 février et nous sommes aujourd’hui le 18 juin, on n’a pas encore les résultats des communes. Mais cela est dû au fait que le Président de la République a caporalisé toutes les institutions. Parce que, quand vous entendez parler du comité de dialogue politique, c’est parce qu’on ne respecte pas la loi. Sinon chaque institution à un rôle bien déterminé. Si les institutions jouaient leur rôle, 72 heures après, on aurait dû avoir les bons résultats. Une semaine après toutes les communes allaient être installées.

 

Dites-nous où se situe le problème ?

Il y a eu des fraudes pendant les opérations de vote. Mais ce qui a été inacceptable pour l’opposition, c’est le holdup après ce scrutin. Lorsque tout a été comptabilisé, les procès-verbaux dressés de chaque candidat, chaque institution qui doit recevoir sa copie, l’a reçu et que le lendemain, quelques cadres véreux qui ont promis des résultats à Alpha Condé qu’ils n’ont pas pu obtenir par le vote, ont décidé d’annuler, d’écarter ou tout simplement de modifier les procès-verbaux pour atteindre leurs objectifs. Et là, nous avons dit que nous ne pouvons pas l’accepter.

Le Président de la République s’est engagé en personne pour dire que partout où nous avons des preuves irréfutables, il fera en sorte que les vrais résultats soient publiés. C’est ce qui a été à la base de la demande de la CENI à pouvoir rencontrer les partis politiques avec les pièces à conviction.  C’est ce qui a occasionné la mise en place du comité de suivi de dialogue politique au lendemain du scrutin du 4 février.

Moi je pense que ce comité ne bouge même pas. Parce que tout simplement, le président a fait des promesses. Au début, c’était bon mais depuis cette date,  nous n’avons pas bougé. Ce qui a suscité même le retrait des représentants de l’opposition au sein du comité de suivi. Mais tout récemment, il y a eu des bonnes volontés à travers l’implication de nos partenaires techniques et financiers qui ont fait des propositions. C’est suite même à cette proposition que nous avons été reçus aujourd’hui, au Quai-d’Orsay à la direction Afrique, pour discuter de l’évolution de la situation en Guinée. Ce que nous avons appris là-bas, nous allons nous  permettre d’espérer un lendemain meilleur, si toutefois, ce que nous avons échangé doit se traduire dans les faits.

 

Et si vous n’êtes pas satisfaits ?

Si nous ne sommes pas satisfaits, nous n’avons que deux recours. Le premier, c’est autour de la table et le deuxième recours, c’est la rue. Et nous avons dit à nos militants de rester déterminés et mobilisés. Parce que nous n’accepterons jamais de participer à la mort de la démocratie dans notre pays. Lorsque vous pouvez voter et qu’on décompte ces voix et qu’on dresse les procès-verbaux et qu’en fin de compte, ceux qui sont à la centralisation décident du maintien ou  non du procès-verbal,  c’est qu’il y aura plus d’élection en Guinée.

Personnellement, quand je fais une marche en arrière, je vois le chemin que nous avons parcouru depuis des années 90 jusqu’aujourd’hui, je pense que je n’ai pas une autre alternative que de me battre et partir dans la rue pour faire respecter la volonté de nos compagnons. Surtout, ceux qui ont perdu leur vie pendant ce temps pour l’instauration de la démocratie dans notre pays.

 

Que pensez-vous du nouveau Premier Ministre, Ibrahima Kassory Fofana ? Pensez-vous qu’il peut décrisper  la situation ?

Je pense que le PM individuellement entant que PM, s’il a toutes les prérogatives, il a les mains libres, il pourra effectivement redonner l’espoir à la classe politique guinéenne. Et pourquoi pas, à toute la Guinée ? Parce que, c’est une personnalité forte qui a une expérience derrière lui, qui est un homme politique qui a participé à l’élection d’Alpha Condé en 2010, à l’élection du président de l’Assemblée nationale, parce que j’étais là encore. Je sais le rôle qu’il a joué, parce que le RPG seul ne pouvait pas élire le président de l’Assemblée nationale, le RPG était autour de 53 députés. Donc par rapport à ça, il a la carrure de quelqu’un qui peut. Mais connaissant le palais Sékhoutouréyah et le rôle que joue mon ancien parton, il peut lui donner une fonction et lui retirer les prérogatives.

 

Quand vous étiez au gouvernement ou non ?

Oui ! Je crois c’est ce qui a été malheureusement la raison de la rupture de nos relations. Ce qui me fait aujourd’hui, un élément de l’opposition. J’avais souhaité l’accompagner jusqu’à la fin de ses deux mandats. Faire en sorte que la Guinée puisse bénéficier de sa présidence. J’étais convaincu que le président Alpha n’avait pas un profil parfait pour impulser le développement économique de notre pays. Mais je ne pouvais pas me douter un seul instant, qu’il serait incapable au moins de consolider les acquis démocratiques. Faire en sorte que les lois de la République soient respectées,  faire prospérer l’alternance dans notre pays par la voie constitutionnelle.

 

Monsieur le ministre, et si le Président Alpha Condé vous rappelait, vous tendait la main pour une question de nation, pour un poste ministériel ou pour un poste quelconque, pour un rôle à jouer pour la nation, que diriez-vous ?

Partout, si je me sens important pour mon pays, je le ferai. Mais ce que je voulais dire aux gens, servir son pays, ce n’est pas forcément être ministre. Moi je pense que les ministres servent moins. Parce que, c’est là-bas que tout le monde veut être. Je vous dis sans ambages, que je ne veux plus un décret du Président de la République, Alpha Condé. Je ne pourrai en aucun cas être utile si je suis nommé par lui en qualité de ministre ou de PM.

 

Là, c’est un refus catégorique ?

Ce n’est pas un refus, mais c’est que, je ne peux même pas être utile.

 

C’est une question d’ego, ou c’est entre vous Makanéra et le Professeur Alpha Condé ?

Non ! Je le connais et je suis convaincu que s’il me nomme on ne va jamais avoir une position commune sur beaucoup de points. Donc, nous ne pouvons pas travailler pour la nation. Je crois que le travail c’est comme quand je suis passé ministre de la communication, ça va être beaucoup plus de conflits entre  le ministre et son président, que de résoudre le problème de la nation.

Je vous dis très sincèrement, je suis républicain, démocrate, je respecte la volonté du peuple qui se traduit à travers les lois du pays. Pour cela, je voudrais l’indépendance des institutions et le président ne le voudra jamais. Sauf une question de rapport de force qui lui sera imposé à l’accepter. Mais dire que vous pouvez négocier avec lui et qu’il accepte que les instituions jouent librement leurs rôles, il ne le fera pas. Mais, ce qu’il ne comprend pas, ça lui crée beaucoup de problèmes.

Mon père n’est pas allé à l’école, mais il m’a dit que 12 métiers sont égaux à 13 malheurs. Quand vous voulez tout faire, vous ne faites rien. Un président de la République, n’est pas là pour exécuter, il est au-dessus, il doit contrôler, il est au-dessus de la mêlée. C’est lui qui doit contrôler, mais si c’est lui qui fait, qui doit contrôler ? C’est pourquoi d’ailleurs en Afrique, on a un sérieux problème. Il est plus facile de venir au pouvoir en Afrique que de le quitter.  Souvent on ne le dit pas parce qu’on aime le pouvoir. Mais lorsque vous aller tout faire, vous aller vous salir, vous avez peur d’abandonner le pouvoir.

 

Monsieur le ministre nous assistons ces derniers temps en Guinée, à des sorties du président Alpha Condé dans les régions du pays. On l’a vu tout dernièrement en Guinée Forestière, en Haute Guinée, en Moyenne Guinée, et en Basse–Guinée notamment, à Kamsar dans Boké, avec l’inauguration de l’Usine de Fria. Quelles sont vos impressions là-dessus ?

Tout ce que je sais, c’est que la volonté d’un troisième mandat chez Alpha Condé est réelle, c’est un secret de polichinelle. Aujourd’hui, il est en train de mettre tout en œuvre pour voir est-ce que les guinéens seront prêts à accepter un troisième mandat. Mais je crois qu’il sera déçu. Lors des élections législatives, il sera beaucoup déçu Lorsque les résultats seront proclamés. Parce que, j’ai lu hier la réaction d’un député de Siguiri. Le vieux, quand il dit que le pouvoir d’Alpha Condé a échoué et qu’il est prêt à accompagner un guinéen qu’il soit Peulh, Soussou ou Forestier, s’il a la confiance en lui. Mais il ne va pas accompagner Alpha, c’est Savané de Siguiri qui a dit cela dans une émission de la radio Djigui Fm en langue malinké. Donc, il dit ce qu’il sait et dans sa langue qu’il connait bien.

 

Que signifie alors ce discours de Savané ?

Quand vous analysez le discours de Savané, il a dit deux choses importantes. La première est sensible quand il dit, qu’il ne votera pas pour un malinké qui ne peut pas dire le nom de 30 arbres de la savane en malinké. Cela veut dire tout simplement, que pour celui qu’il a voté avant, peut-être que lui, ne connait pas le nom de 30 arbres.

La deuxième chose, il dit qu’il est prêt à voter pour n’importe qui à condition qu’il ait confiance en lui. Cela veut dire que celui qui est là, il n’a pas confiance en lui et surtout, il n’est plus dans un clivage ethnique ou régionaliste. Donc, cela doit inquiéter les partisans du troisième mandat. Parce que Siguiri, c’est la locomotive du RPG et si la locomotive s’arrête, les wagons ne peuvent pas faire autrement.

 

Vous, en tant qu’opposant, l’opposition est représentée à l’assemblée. Si jamais on arrivait à retoucher les textes  et que les textes permettaient de donner plein pouvoir au Professeur Alpha Condé d’aller à un troisième mandat, quel sera votre appréciation ?

Je vous dis d’abord, n’importe quel juriste vous dit qu’on peut faire des textes et que ces textes soient légaux et permettent au Pr. Alpha Condé de faire sauter le verrou d’un troisième mandat, de la limitation d’un troisième mandat est faux. Il y’ a aucun texte qui lui permettra de faire sauter le verrou.

D’abord, ce que je voudrais que les gens comprennent, cette constitution a verrouillé la forme de l’Etat, la forme républicaine, la laïcité, le nombre et la durée des mandats. Si on se lançait aujourd’hui, à faire une autre constitution, c’est ce que les juristes appellent fraude à la constitution. C’est-à-dire, tailler sur mesure, la constitution sur une personne. La loi ne le permet pas. Peut-être ça doit être pour ce qui n’a pas fait, mais lui a déjà fini pour lui. Il est lié par cette constitution et puis, cette constitution dit qu’elle ne peut pas être modifiée. C’est pourquoi, nous on attend le jour où il va s’engager d’une manière claire dans un projet de troisième mandat. Ce jour-là, on va prendre la rue jusqu’à ce qu’il soit démis de ses fonctions.

 

A la question des journalistes sur un éventuel troisième mandat, le Président a dit que c’est le peuple qui décidera. Qu’en pensez-vous ? 

Le peuple a déjà parlé à travers la constitution. Nous allons lui faire comprendre que le peuple s’est déjà exprimé à travers la constitution. Parce que, le président est juriste, sache que les lois sont les reflets de la volonté du peuple. Par conséquent,  quand le juge prend une décision de justice, on dit au nom du peuple. Cela veut dire que cette loi c’est le peuple qui l’a dit. La constitution sur laquelle il a prêté serment, le peuple s’est exprimé à travers ça. Même s’il est le meilleur président au monde, il ne peut pas aller au-delà de deux mandats. Il faudrait qu’il le sache d’une manière claire et précise. J’ai entendu certains de ces défenseurs dire que, non, la constitution là n’est pas votée par le peuple. Si telle est le cas aussi, son pouvoir aussi est égal à zéro. Parce qu’il tire la légitimé et la légalité de son pouvoir à travers cette constitution.

Le jour où la constitution est zéro, son pouvoir aussi est zéro, il n’y aura plus de président de la république, ni président de l’Assemblée nationale, il n’y aura aucune institution en ce moment, on se retrouvera dans une jungle, parce qu’il y’aura aucune loi. Si le militaire parle, il parlera au nom de la loi et cette loi, il tire sa légitimité, sa légalité, ses prérogatives à travers la constitution. Si c’est le député, c’est la même la chose. Si c’est le juge, c’est la même chose. C’est dangereux de vouloir dire  que la constitution-là ne vaut rien, parce que la constitution, c’est le soubassement de toute l’architecture juridique dans notre pays. Mais si le soubassement saute, c’est toute la structure qui va finir. Je pense que ceux qui disent des choses comme ça, doivent être poursuivis devant les tribunaux comme on l’a fait récemment au Niger.

 

Quel est votre dernière appréciation sur ce qui prévaut en Guinée. Il y’ a eu un accident grave récemment où l’un des journalistes de guineenews a perdu la vie?

Je voudrais d’abord à travers votre micro adresser mes condoléances les plus sincères à la famille biologique de notre frère Abdoulaye Bah, l’un des journalistes le plus talentueux de notre pays. Mais aussi, adresser mes condoléances à la corporation et à tout le peuple de Guinée. Ensuite, je voulais vous dire ce qui se passe. Ça va faire mal mais ça ne me surprend pas. Tout simplement depuis l’arrivée du Pr. Alpha Condé, l’Etat a cessé d’exister, on a l’impression qu’on se trouve dans la jungle où tout est permis. Sinon des gamins ne peuvent faire rallye en pleine capitale. Ce n’est pas la première fois, il y’ a eu des cas similaires, des accidents avec les mêmes conditions avec le jeune Souaré. Il y’a eu encore des élèves Hassan II, parce qu’il n’y a pas de loi et si il y’ a pas de loi, on peut s’attendre à tout. C’est pourquoi aujourd’hui, moi je dis au peuple de Guinée de prendre ses responsabilités, une équipe qui gagne on l’a change pas mais, une équipe qui ne gagne pas on doit la changer et l’équipe d’Alpha Condé ne gagne pas.

En termes de développement économique, c’est zéro ; en termes de droits humains, c’est zéro ; en termes de sécurité de la population c’est encore zéro. Pourquoi alors tenter de garder cette équipe ? La meilleure façon de faire comprendre à Alpha Condé que son pouvoir n’a plus sa place dans notre pays, c’est de faire en sorte que lors des législatives que les guinéens refusent de voter toutes les listes de RPG Arc-en-Ciel.

 

Quel est votre mot de fin ?

Je voudrais vous saluer, vous remercier pour l’effort que vous êtes en train d’abattre entant que journaliste individuellement pris et collectivement. Il y’ a beaucoup de bon journalistes qui se battent pour le progrès de notre pays. Parce que, en réalité, l’avenir de la Guinée, c’est vous. Car, c’est vous qui formatez l’opinion publique, vous avez un rôle important à jouer. C’est vrai qu’on est pas d’accord sur tout mais, le peu de démocratie que nous avons, c’est pourquoi je vous demande de renforcer ce combat pour consolider les acquis que nous avons déjà obtenus et de faire en sorte qu’on s’inscrit dans une dynamique vertueuse allant dans le respect de la chose publique, dans le respect des règles de la démocratie. Surtout par rapport au vote. Quand Paul vote pour Pierre, il faudrait que ce vote soit compté pour Pierre. C’est ce qui permettra à la population de sanctionner négativement ou positivement ceux qui ont la mission de gérer les affaires publiques.

Interview réalisée à Paris par Ib KONE

 

 

 

 

 

 

 

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