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Etienne Soropogui: «le président de la République peut avoir un parti politique mais… » (Interview)

Dans cet entretien qu’il a accordé à la rédaction de mosaiqueguinee.com, le président du mouvement politique ” Nos Valeurs Communes ” et ancien commissaire de la CENI fait des propositions sur le modèle d’organe électoral de gestion qu’il faut en Guinée. Etienne Soropogui dénonce le manque de neutralité et d’impartialité de l’État entre les compétiteurs et plaide pour le maintien des partis politiques au sein de la CENI. Il invite « le FNDC à mettre en place un consortium d’observation et de labellisation des Futures élections guinéennes ».

Mosaiqueguinee.com: Quel type de CENI faut t-il établir pour la Guinée ? Est ce une CENI politique, technique ou mixte ?

Etienne Soropogui : Dans la typologie des organes de gestion des élections (OGE), la littérature électorale reconnait trois grands modèles d’organes de gestion des élections.

1- Le modèle indépendant

2- Le modèle gouvernemental

3- Le modèle Mixte

Il n’y a donc pas de modèle ou de types dit “techniques”.

Par contre et quelque soit le modèle utilisé, chaque organe de gestion des élections doit être en mesure de garantir l’encrage des principes directeurs universellement admises notamment la transparence, l’intégrité, la neutralité, l’impartialité etc… Ce qui fait que le déroulé des opérations électorales est par essence de nature technique quelque soit par ailleurs la composition de l’OGE. De ce point de vue, il est donc important de noter que ce qui a influencé cette modélisation, c’est l’environnement socio-politique et culturel qui en Afrique et principalement en Guinée est fait de méfiance et d’absence totale de confiance, non pas entre les compétiteurs, mais entre l’État et les compétiteurs. D’autant plus que culturellement, et cela sur plusieurs décennies, nous avons bâti un État qui dans son fonctionnement et ses réflexes n’est absolument pas transparent et cela dans tous les domaines, le domaine des élections n’a donc pas l’exclusivité d’absence de transparence dans la vie publique en Guinée. Seulement que dans l’environnement des élections, la transparence est indissociable de la confiance, elle est dit-on ” le ciment de la confiance “.

Mosaiqueguinee.com : Vous voulez dire que c’est l’État qui a failli à sa mission de neutralité entre les compétiteurs ?

Etienne Soropogui : Il faut noter aussi que selon la logique libérale, l’État ne compétit pas, l’État régule, organise, établit les critères et crée un environnement favorable à une compétition électorale saine, honnête et sincère. L’État est l’arbitre, il n’est pas supposé avoir de partis politiques. Le Président de la République peut avoir un Parti politique, mais l’État ne doit pas avoir un parti politique. L’État doit rester et demeurer neutre. Aussi longtemps que nous ne serions pas en capacité de déconnecter l’État, (dont la seule vocation est la recherche de l’intérêt public et d’un Parti, dont la vocation est la recherche d’intérêt politiques particuliers), aussi longtemps que nous n’aurions pas déconstruit la configuration et le réflexe de Parti-État, l’environnement des élections en Guinée sera souillé et implacablement nauséabond. Donc l’un des tout premiers défi reste la volonté politique exprimée au sommet de l’État de laisser l’OGE agir librement et avec impartialité.

Mosaiqueguinee.com : Quelle doit donc être la priorité des autorités de transition dans un contexte de refondation même de l’État et de ses institutions ?

Etienne Soropogui : ” Si on ne profite pas de cette transition pour poser les jalons d’un État neutre et impartial, capable de rester à équidistance des clivages de sensibilités partisanes, les prochaines élections seront sans aucun doute source de conflits et susceptibles de mettre en péril notre sécurité à tous”. Naturellement la question de la composition, de la qualification des membres de l’OGE ainsi que les critères de leurs sélections est une question centrale. Mais, je ne suis pas sûr qu’elle garantisse à elle seule et immanquablement l’intégrité et la sincérité du processus. Parce que quand on organise une élection en Guinée, il y a au moins 150 000 personnes qui partout en Guinée ont un impact direct susceptible de manipuler la conduite des opérations suivant leurs sensibilités partisanes et le plus souvent à l’insu de tout regard neutre. Il faut d’abord donc, chercher à réduire ce seuil des intervenants dans les parties sensibles et les étapes clés du processus.

Mosaiqueguinee.com : Dans ce cas, que faut-il faire ? Que propose l’ancien directeur des opérations de la CENI ?

Etienne Soropogui : Il faut d’abord supprimer les CACV (Commission Administrative de Centralisation des Votes) en mettant en place un mécanisme de remontée électronique des résultats dès après la clôture des bureaux de vote. Ensuite numériser la production des procès verbaux des bureaux de vote pour qu’elles soient établis in situ, c’est-à-dire juste après le dépouillement afin de permettre aux parties prenantes de disposer de copies certifiées. En lieux et place des CACV, on mettra en place au niveau de la CENI centrale une grande commission de totalisation composée de l’ensemble des acteurs avec possibilité de visualiser via un écran géant et en temps réel les résultats remontées des bureaux de vote. En supprimant les CACV, on aura supprimer les commissions et les équipes en charge des remontées physiques des PV ainsi que les équipes en charge de la réception des PV. Toutes ces étapes sont susceptibles d’engendrer de sérieuses manipulations.

Mosaiqueguinee.com : Alors, quelle doit être la composition de la CENI ? Faut-il exclure les partis politiques ?

Etienne Soropogui : S’agissant de la question relative à la composition de la future CENI, je crois très honnêtement qu’il ne sera pas judicieux de “chasser” les Partis politiques de la CENI. D’abord parce qu’ils sont les premiers concernés, tout ce qui sera fait à leurs insu sera fait contre eux. Ensuite, dans le souci de drainer l’ensemble des acteurs majeurs, l’absence des Partis politiques pourrait être Source de conflits. Je propose une composition qui garantirait la présence des Partis politiques majeurs et de la société civile sur la base de critères et du quota à définir. Je propose de confier la présidence de la CENI à une personnalité consensuellement identifiée, réputée intègre et pouvant être en capacité de faire preuve de neutralité et de d’impartialité. Une personne connue pour sa capacité à pouvoir résister à la pression et qui est imperméable aux injonctions.

Mosaiquegunee.com : Très souvent, les problèmes surviennent dans les bureaux de votes entre des délégués de partis politiques, voulant ou pas favoriser ou accorder certains politiques à leurs candidats. Que faut-il faire pour mettre fin à ces problèmes ?

Etienne Soropogui : Je propose de procéder à une géolocalisation des bureaux de vote et des commissions d’enregistrement et d’établissement de la liste électorale afin que les données électorales soient libres d’accès et cartographiables. On doit pouvoir placer dans chaque bureau de vote, une caméra pour enregistrer les opérations de votes pour qu’au besoin, les incidents puisse être traçables. Dans un processus électoral qui se respecte, il relève des bonnes pratiques que les décisions, la documentation et les procédures de l’organe de gestion puissent être accessibles au public pour qu’un examen indépendant puisse être fait sur la base d’éléments factuels mesurables. C’est à ce titre que je demande à la société guinéenne, notamment le FNDC de travailler à mettre en place un puissant consortium d’observation et de labellisation des étapes clés du processus électoral. Ce consortium doit inclure outre les organisations locales de la société civile guinéenne reconnues pour leur sérieux et leurs indépendance, toutes les ONG et institutions internationales traditionnellement impliquées dans les élections et reconnues pour leurs expériences sur le terrain (NDI,IFESH,OSIWA,UE,OIF,I.CARTER etc..). Ce consortium doit avoir une parfaite couverture nationale, s’organiser à être présent dans tous les bureaux de vote. Le consortium devra être outillé de moyens de communication de dernière génération (caméra, appareil Android Etc..) pour assurer la traçabilité en temps réel de l’ensemble des opérations électorales ,de l’enregistrement des électeurs aux dépouillement dans les bureaux de vote avec une possibilité de faire un décompte parallèle pour que sur la base d’éléments factuels et mesurables, il soit possible de questionner l’intégrité et la sincérité des chiffres de l’organe de gestion.

Avec mosaïqueguinee

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