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L’HISTOIRE DES CONSTITUTIONS 4 RÉPUBLIQUES DE GUINÉE (1958- 2019) ET LES 8 LÉGISLATURES

En ces temps de crises autour de la Constitution guinéenne, je souhaite à travers cet article rafraîchir la mémoire des compatriotes sur l’évolution historique des différentes constitutions guinéennes. Cet article montre à suffisance qu’à l’instar des humains ou des sociétés, les Constitutions évoluent en s’adaptant.
Par biais de cet article nous voulons donc répondre aux questions suivantes :
Quelles sont les différentes constitutions qui ont encadré les différentes Républiques en Guinée ?
Comment ont été adoptées ces différentes constitutions ?
Que prévoient ces différentes constitutions en matière de révision ?
▪La première République (1958 – 1980)
La première constitution fut élaborée par la première législature (1958-1963) mise en place le 31 Mars 1957, sous le titre de Conseil Territorial de la Guinée- Française. Elle était pluraliste. composée de 60 députés dont 57 du PDG, 2 de l’alliance BAG-DSG et 1 indépendant (Habib Tall de Dinguiraye).
C’est cette Assemblée Territoriale, présidée par Saïfoulaye Diallo, qui a proclamé l’indépendance de la Guinée, le jeudi 2 octobre 1958. De facto, cette Assemblée est érigée en Assemblée constituante en vue de rédiger la première constitution guinéenne.
Après un mois d’intenses activités, la première Constitution guinéenne est adoptée le 10 novembre 1958 par les députés en votant la Loi n° 4/AN/58 du 10 novembre 1958 adoptant la Constitution de la République de Guinée. Elle est donc immédiatement signée par le Président de l’Assemblée Nationale Constituante, M. Saïfoulaye Diallo. Ce dernier transmet immédiatement cette loi au Chef de l’Etat pour promulgation dans 48 heures au plus tard. Le Président de la République et Chef de l’Etat, M. Sékou Touré, promulgue le même jour cette Constitution en signant l’ordonnance n° 15 promulguant la loi n° 4/an/58 du 10 novembre 1958 sur la constitution de la République de Guinée.
Cette Constitution portant les fonds baptismaux de notre pays n’a pas fait l’objet d’un référendum mais bien rédigée et adoptée par 60 députés. Grosso modo, cette première constitution comprenait 53 articles repartis entre 12 titres.
Les députés sachant qu’à un moment donné de l’évolution, le peuple peut avoir besoin de modifier cette constitution pour l’adapter aux nouvelles réalités, ont mentionné les conditions de révision de cette constitution au titre XI, intitulé : « De la révision constitutionnelle » comprenant 2 articles.
L’article 49 de cette Constitution affirme que : « L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au Président de la République et aux Membres de l’Assemblée Nationale. L’Assemblée Nationale par le vote à la majorité des 2/3 de ses Membres peut adopter ou soumettre au référendum le projet de révision constitutionnelle. »
A la lecture de cet article, il est clair que seuls le Président de la République et les députés peuvent demander une révision constitutionnelle. De même, pour adopter cette révision constitutionnelle, il n’y a que deux voies soit elle est adoptée par les 2/3 des députés ou elle est soumise à l’approbation du peuple par voie référendaire.
Quant à l’article 50 de cette constitution, il affirme sans ambages que : « La forme républicaine de l’Etat ne peut être mise en cause par aucune révision constitutionnelle ».
Nulle part, cette Constitution ne prévoit son abrogation et son remplacement complet par une autre Constitution. Même si cette Constitution prévoit sa révision sans limite, elle est quand même claire, que la forme républicaine de l’Etat ne peut être mise en cause par aucune révision constitutionnelle. De même, cette constitution ne prévoit pas une quelconque limitation de mandats du Président de la République. Toutefois, en son article 20, la Constitution proclame que : « Le président de la République est le Chef de l’État. Il est le chef des armées. Tout citoyen éligible et âgé au moins de trente-cinq ans peut être élu président de la République ». Une fois, élu, un Président de la République peut être réélu sans aucune limitation du mandat réglementaire de 7 ans. C’est ce qu’atteste l’article 22 en ces termes : « Le président de la République est élu pour 7 ans au suffrage universel, à la majorité absolue au premier tour ou à la majorité relative au second tour. Il est rééligible ».

Cette Constitution qui durera 24 ans (1958-1982), verra se succéder 4 législatures :
La première législature (1958-1963).
Elle était pluraliste (60 députés dont 57 du PDG, 2 de l’alliance BAG-DSG et 1 indépendant-Habib Tall de Dinguiraye).
C’est cette Assemblée Territoriale, présidée par Saïfoulaye Diallo, qui a proclamé l’indépendance de la Guinée, le jeudi 2 octobre 1958 et adopta la Première Constitution de notre pays.
La deuxième législature (1963-1968)
Elle était composée de 75 députés. Léon Maka fut le président de cette Assemblée Nationale à coloration monolithique car de facto après l’accession à l’indépendance, tous les partis et mouvements politiques se sont auto-dissolus dans le PDG-RDA, le parti présidentiel signant ainsi la fin tacite du pluralisme politique en République de Guinée.
La troisième législature (1968-1974)
Les 75 députés élus sont naturellement tous du PDG-RDA. Léon Maka fut reconduit dans ses fonctions de président de l’Assemblée Nationale. Elle fut à la base de plusieurs transformations institutionnelles dont la naissance du Parti- État de Guinée. C’est cette législature qui, à la suite de l’agression portugaise du 22 Novembre 1970, fut érigée en Tribunal Populaire Révolutionnaire (1ère révision constitutionnelle).
La quatrième législature (1974-1980)
La quatrième législature installée le 27 Décembre 1974 était aussi monolithique (PDG-RDA) mais comprenait désormais 150 députés. Pour la première fois dans l’histoire de la jeune nation, cette Assemblée fut présidée par une femme en l’occurrence, Mme Jeanne Martin Cissé.
▪ La deuxième République ou la consécration de la République populaire et Révolutionnaire de Guinée (1980-1984)
La cinquième législature (1980-1984)
Cette cinquième législature, était composée de 210 députés. Elle fut présidée par Damantang Camara. Cette Assemblée est marquée par la rédaction et l’adoption d’une nouvelle Constitution le 14 mai 1982. C’est cette Constitution qui proclama la naissance de la deuxième République connue sous le nom de République Populaire et Révolutionnaire de Guinée. La même constitution consacre l’institutionnalisation du Parti- Etat (le parti au service de l’État). Toute l’administration (PRL, Arrondissements, régions) était démocratisée (démocratie participative) à part le sommet (le secrétariat général du Parti-État).
Comme on le voit, à l’instar de la première Constitution, la Deuxième est adoptée par des Députés et non soumise à un référendum. Cette deuxième Constitution comprend 93 articles repartis entre XI titres. L’éventualité de la révision de cette Constitution est notifiée au titre XI, article 91 en ces termes : « L’initiative de la révision constitutionnelle appartient au Président de la République, Responsable Suprême de la Révolution. Le Congrès National ou l’Assemblée Constitutionnelle Suprême, par le vote à la majorité des 2/3 de ses membres, peut adopter ou soumettre au référendum le projet de révision constitutionnelle. La forme républicaine de l’Etat ne peut être mise en cause par aucune révision constitutionnelle ». Comme on le constate, cette disposition est identique à celle qui était prévue dans la Première Constitution.
Parlant de l’élection et de la limitation des mandats, c’est également le statuquo comme le montre l’article 46, « Il (le Président) est élu pour 7 ans. Il est rééligible. Pour être éligible à la Présidence de la République, il faut être de nationalité guinéenne et jouir de la plénitude des droits civils et politiques. »
Comme pour la Première Constitution, la Deuxième n’a pour intangibilité que « la forme républicaine de l’Etat ».
Le 26 mars 1984, Sékou Touré décède et, malgré les problèmes autour de sa succession, le 27, Lansana Beavogui, Premier ministre, est nommé chef du gouvernement par intérim. Il sera renversé quelques jours après, le 3 avril 1984 par une junte militaire conduite par le Colonel Lansana Conté. La constitution, le Parti-Etat et toutes ses institutions sont immédiatement dissouts. Une longue transition (7 ans) de 1984 à 1991 s’ouvre ainsi.
▪ La troisième République ou la prise du pouvoir par l’armée (1984 – 2010)
La prise du pouvoir par l’armée et la transition (1984 – 1991)
Le 3 avril 1984, l’armée s’empare du pouvoir après le décès du premier président Sékou Touré. Elle procède à la dissolution du Parti-Etat, de sa Constitution et de ses institutions. C’est une période d’exception profondément marquée par le discours-programme du colonel Lansana Conté, chef du Comité Militaire de Redressement National (CMRN), le 21 décembre 1985. Ce discours décline l’option libérale du nouveau régime marquant ainsi une profonde rupture avec la trajectoire empruntée par le régime précédent de 1958 à 1984 à savoir la voie socialiste.
Face à la demande sociale et politique de plus en plus pressante, le 23 décembre 1990, un projet constitutionnel est proposé par le président Conté (les effets du discours de la Baule tenu par M. Mitterand le 20 juin 1990) et contenant la proposition d’un système bipartite.
Le 16 janvier 1991, le CMRN est dissout et remplacé par le Comité Transitoire de Redressement Nationale (CTRN). Le CTRN est un comité civilo-militaire en charge de préparer la nouvelle constitution et l’organisation des élections présidentielle et législative.
Le 23 décembre 1991, la nouvelle Constitution est promulguée à la faveur d’un référendum. Elle consacre le multipartisme intégral et l’avènement de la Troisième République.
Cette troisième Constitution dite aussi Loi Fondamentale, comprend 96 articles répartis dans 12 titres.
Evoquant la possibilité de sa révision, la Constitution en son titre X, article 91 proclame que : « L’initiative de la révision de la loi fondamentale appartient concurremment au président de la République et aux députés. Le projet ou la proposition de révision adoptée par l’Assemblée nationale ne devient définitif qu’après avoir été approuvé par référendum. Toutefois le projet n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre à la seule Assemblée nationale. Dans ce cas le projet de révision est approuvé à la majorité des deux tiers des membres composant l’Assemblée nationale. Il est de même de la proposition de révision qui aura recueilli l’approbation du président de la République. Aucune procédure de révision ne peut être entreprise ou poursuivie en cas d’occupation d’une partie ou de la totalité du territoire national, en cas d’état d’urgence ou d’état de siège. La forme républicaine de l’État, le principe de la laïcité et le principe de la séparation des pouvoirs ne peuvent faire l’objet d’une révision. »
Cet article insiste comme dans les deux premières constitutions que le caractère républicain de l’Etat est une intangibilité. En plus, cette nouvelle constitution ajoute comme intangibilité le principe de la laïcité et le principe de la séparation des pouvoirs. Pour cette constitution ces principes évoqués « ne peuvent faire l’objet d’une révision ».
Pour la première fois dans l’histoire politique de la Guinée, une constitution limite le nombre de mandats d’un Président de la République. En effet, au titre III, intitulé Du Président de la République, l’article 24 stipule que : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une seule fois. »
Il est aisé de constater à la lecture de cette constitution que les législateurs ont laissé une brèche à la révision ultérieure du nombre de mandat présidentiel possible. Ils n’en ont pas fait une intangibilité constitutionnelle.

La sixième législature (1995-2002)
Plus de dix ans après le putsch militaire du 3 Avril 1984 qui, par sa rupture radicale et ses changements profonds, a instauré la troisième République, la sixième législature entre en fonction en 1995 avec 114 Députés. Elle fut présidée par Elhadj Boubacar Biro Diallo. Elle était multipartite pour la première depuis 1958. Il faut rappeler la difficile cohabitation entre le président de l’Assemblée Nationale et le président de la République durant cette période. Elle est marquée notamment par certaines révisions constitutionnelles par la loi du 25 octobre 1996 (art. 55) et par la loi adoptée par référendum le 11 novembre 2001 et promulguée le 15 mai 2002 (1er 8, 24, 26, 88, 89).
En effet, le 11 novembre 2001, le président Lansana Conté fait réviser la Constitution par référendum. Il renforce ses pouvoirs vis à vis de l’Assemblée Nationale. Cette révision constitutionnelle supprime la limitation du nombre des mandats présidentiels, ainsi que la limite d’âge du candidat. L’époque du « Koudaisme ».
La septième législature (2002-2008)
Elle fut présidée par Elhadj Aboubacar Somparé et comportait, comme celle qui la précède, un effectif de 114 députés.
Cette législature sera dissoute le 22 décembre 2008 par le Conseil National pour le Développement et la Démocratie (CNDD), la junte militaire qui s’est emparée du pouvoir suite au décès du Président Général Lansana Conté la veille, le 21 décembre. Suite aux tragiques événements du Stade du 28 septembre, le 28 septembre 2009 et la tentative d’assassinat du Président de la transition, le Capitaine Moussa Dadis Camara, le 3 décembre 2009, la junte est placée sous l’autorité du Général Sékouba Konaté, alors n°2 et Ministre de la Défense du CNDD.
Le 15 janvier 2010, les accords de Ouaga sont signés entre la junte au pouvoir et la classe politique. Ces accords décident de la mise en place d’un Conseil National de la Transition (CNT) composé des représentants de la société civile et formations politiques. Le CNT a la charge de rédiger une nouvelle Constitution consacrant l’avènement de la quatrième République, des changements profonds et le retour au pouvoir des civils.
Le 7 mai 2010, la nouvelle Constitution est promulguée par le Général Sékouba Konaté sans la soumettre à l’approbation de la population par référendum. En effet, pour ne pas allonger davantage la transition, les acteurs politiques avaient suggéré de laisser cette possibilité au futur président de la République.
Cette quatrième Constitution comprend 162 articles repartis entre 19 titres. Comme toute constitution, celle 7 mai 2010, prévoit les conditions de sa révision au titre XVIII, en ses articles 152, 153 et 154.
En effet, l’article 152 stipule ce qui suit :
« L’initiative de la révision de la Constitution appartient concurremment au président de la République et aux députés.
Pour être pris en considération, le projet ou la proposition de révision est adopté par l’Assemblée nationale à la majorité simple de ses membres. Il ne devient définitif qu’après avoir été approuvé par référendum.
Toutefois le projet n’est pas présenté au référendum lorsque le président de la République décide de le soumettre à la seule Assemblée nationale. Dans ce cas le projet de révision est approuvé à la majorité des deux tiers des membres composant l’Assemblée nationale. Il est de même de la proposition de révision qui aura recueilli l’approbation du président de la République. »
L’article 153 pour sa part précise dans quelle condition cette révision n’est permise en ces termes : « Aucune procédure de révision ne peut être entreprise en cas d’occupation d’une partie ou de la totalité du territoire national, en cas d’état d’urgence ou d’état de siège. »
Prenant des leçons des lacunes des précédentes constitutions guinéennes, la Constitution du 7 mai 2010 affirme clairement des intangibilités non modifiables en son article 154 en stipulant que : « La forme républicaine de l’État, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’État, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical, le nombre et la durée des mandats du président de la République ne peuvent faire l’objet d’une révision. »
Plutôt, la Constitution en son titre III intitulé Du pouvoir exécutif, Sous-titre I, Du Président de la République, article 27, pose la non possibilité pour un quelconque Président de la République de pouvoir faire plus de deux mandats en ces termes : « Le président de la République est élu au suffrage universel direct. La durée de son mandat est de cinq ans, renouvelable une fois. En aucun cas, nul ne peut exercer plus de deux mandats présidentiels, consécutifs ou non. »
A l’issue d’un houleux 2e tour, le Pr. Alpha Condé du Parti RPG-Arc-en-ciel, est à la magistrature suprême du pays face à son challenger M. Mamadou Cellou Dalein Diallo du parti UFDG. C’est le deuxième président civil élu depuis l’indépendance de la Guinée. Il sera élu sur la base de la Constitution du 7 mai 2010.
▪ La quatrième République ou l’avènement d’un régime civil (Décembre 2010-décembre 2020).
L’élection du Pr. Alpha Condé en 2010 consacre l’avènement de la quatrième République précédemment consacrée par la Constitution de mai 2010. Une Constitution remise en question au crépuscule de son second et dernier mandat.
La huitième législature (2013-2019)
Elle est présidée par Claude Kory Kondiano et comporte un effectif de 114 députés en théorie car le Député Lansana Kouyaté n’a jamais siégé en protestation des fraudes dont son parti (le PDEN) serait victime. . Elle est entrée en phase d’illégitimité depuis avril 2019. Son mandat a été prorogé par un décret présidentiel conformément aux dispositions du règlement intérieur de l’Assemblée Nationale. Pour maints observateurs cette disposition est une violation constitutionnelle car le mandat ne peut être prorogé que dans l’hypothèse de circonstances graves (catastrophe par exemple).
Au terme de cet article, il ressort que la population guinéenne n’a été appelée à se prononcer sur une constitution post-indépendance que par deux fois à savoir l’adoption de la Constitution du 23 décembre 1990 et la révision de cette même Constitution le 11 novembre 2001. Pour les 3 autres constitutions (novembre 1958, 14 mai 1982 et le 7 mai 2010) ont été adoptées par des Députés et promulguées par des Présidents de la République sans consultation du peuple.
Concernant les limitations du nombre des mandats présidentielles, les deux premières (1958, 1982) affirme que ces mandats sont renouvelables à l’infinie. A partir de la Constitution de 1990, le nombre de mandats est limité à deux.
Parlant des possibilités de révision constitutionnelles, toutes les Constitutions successives prévoient cette possibilité à l’exception du caractère Républicain de l’Etat. Il a fallut attendre la constitution du 7 mai 2010 pour rendre non révisable désormais le nombre de mandat présidentiel à deux mais également la forme républicaine de l’État, le principe de la laïcité, le principe de l’unicité de l’État, le principe de la séparation et de l’équilibre des pouvoirs, le pluralisme politique et syndical. Cette disposition viendrait corriger les faiblesses des précédentes constitutions.

Auteur : Dr. Mamadou Dindé DIALLO, Maître de Conférences en Histoire contemporaine de l’Afrique, Université de Kindia.

 

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